QUAND L’EXTRAORDINAIRE EST ÉCLIPSÉ PAR LE SÉCURITARISME AMBIANT

Réveil en Namibie

Les conditions astronomiques du vendredi 20 mars 2015 ont offert à l’Europe un phénomène rarissime sous nos latitudes : une éclipse solaire recouvrant le soleil à près de 70% (la prochaine éclipse intéressante en Suisse aura lieu le 12 août 2026). Une magnifique opportunité d’observer le ballet à trois corps Soleil-Terre-Lune qu’aucun nuage n’est venu gâcher en Valais.

Ce même jour à 7h45, effervescence dans les salles des maitres : que faire pour éviter toute lésion oculaire irréversible ? Comment être certain qu’aucun élève ne fixe le soleil ? Et, si le pire se produit, qui sera responsable ?

Plusieurs parents avaient décidé de garder leurs enfants à la maison. La lettre des autorités – reçue la veille – transpirait l’extrême prudence et arrivait beaucoup trop tard pour appliquer les recommandations indiquées (se procurer des lunettes spécialement destinées à l’observation). Par précaution, certains centres ont ainsi avancé la récréation, d’autres l’ont supprimée, quelques classes ont passé la matinée avec les stores baissés (parfois pour mieux discerner la projection de l’éclipse sur un écran ; une version moderne de l’allégorie de la caverne de Platon ?).

Quelle est donc cette société qui sacrifie la curiosité scientifique et l’ouverture au monde sur l’autel du sécuritarisme ambiant ? Comment en est-on arrivé à encourager les stratégies d’évitement de responsabilisation plutôt que de prôner la confiance et le bon sens ? 

Certains élèves, frustrés, pourraient même en déduire que, pour les adultes, la routine l’emporte sur l’extraordinaire, et que cette salle de classe où ils passent le plus clair de leur temps est un lieu, certes sécurisé, mais complètement déconnecté du monde qui les entoure. 

Le risque zéro n’existe pas. Par contre, la tendance à renoncer aux expériences authentiques de vie pour limiter ce risque existe de plus en plus. Les enseignants ont peur de faire faux, de faire mal, d’avoir des problèmes avec la hiérarchie et/ou avec (les avocats) des parents d’élèves. Ils se posent mille questions avant d’oser s’écarter du programme scolaire, avant de faire plus, avant de faire différemment. Si la peur peut parfois être bonne conseillère, la pression d’une société anxiogène ne peut qu’asphyxier la créativité. De l’instituteur dans un premier temps, des futurs citoyens ensuite. 

Lueur d’espoir : par principe du sténopé, à travers les trous des lamelles des stores (ceux permettant à la lanière du mécanisme de passer), l’image très nette de l’éclipse s’est invitée sur le sol des classes orientées vers le sud. Espérons que certains élèves et enseignants en ont profité pour observer l’extraordinaire et ce, sans aucun danger de retour de flamme.